Bac 2013, série ES

Que devons-nous à l'État ?

...d'être un citoyen efficace. Rien d'autre.

 

Il s’agit d’une question directe à laquelle il convient de répondre directement. Faut-il répondre « quelque chose entre tout et rien » ? On peut défendre la réponse de son choix. Pour nous, ce sera : rien, si ce n’est notre liberté. Ce qui revient à dire que nous devons pratiquement tout à l’État.

Remarques préalables :

À propos du « devons-nous » ?

On peut prendre le mot devoir en plusieurs sens.

Un premier sens est celui, juridique, des obligations à remplir sur injonction de l’État, comme de payer ses impôts. Pas grand-chose de philosophique, ici, sauf peut-être à constater qu’il ne s’agit que de solidarité.
Plus intéressant est le sens moral : ce que l’État nous a apporté est tel que nous lui en devons une sorte de reconnaissance. Mais qu’est-ce qu’être reconnaissant envers l’État, qui n’est ni une personne ni un dieu. D’autant que l’État peut facilement devenir tyrannique et, en ce cas, il nous faudrait le combattre. La réponse à la question de ce que nous devons à l’État devra donc en passer par une interrogation sur ce que l’État doit être : un État de droit.
De sorte que notre reconnaissance doit être accompagnée d’une surveillance. Respect et méfiance ? Cela ne va pas bien ensemble. Aussi, bien qu’il soit certain que nous devions quelque chose à l’État, il n’est pas facile de savoir quoi et à quel degré. C’est tout l’intérêt du problème posé et ceci va nous servir de problématique.

À propos de l’État

1. Il ne faut pas confondre l’État et la société. L’État (ici à écrire avec une majuscule) désigne l’organisation politique d’une société. La société concerne les relations entre les personnes, par exemple leurs échanges, l'État impose et garanti les normes ou les règles. L'État est au-dessus de la société.
Toute société n’est pas nécessairement organisée en État. Par exemple, les sociétés tribales ne le sont pas et lorsqu’un gouvernement central tente de s'y constituer, il doit, soit soumettre les chefs de tribus, soit se contenter de présider un conseil général des tribus. Les Cités antiques, souvent, ne sont pas vraiment des États, bien que les Cités grecques ou Rome aient été le modèle de nos États modernes. Elles sont souvent des centres religieux de coordination de familles ou de tribus. Athènes fera exception en inventant la démocratie.

2. Un État exerce, par l'intermédiaire de son chef, de son administration et de ses forces armées un pouvoir de contrainte, sur un territoire aux frontières déterminées et sur toute personne qui s’y trouve. Il dispose du monopole de la contrainte (voir ce point en remarque). En ce sens, un État est forcément un centre, même si la technique administrative permet de « déconcentrer » l’exercice de ce pouvoir ou même de le décentraliser.

3. Pour répondre à la question posée, nous pouvons estimer que l’État dont on parle est un État de droit et non une tyrannie (attention : la tyrannie n’est pas la même chose que la dictature). Dans un État de non-droit (de violence donc) on ne doit rien à l’État et sans doute même a-t-on le devoir de le combattre. Il faudra donc avertir que ce qu’on va analyser n’a de sens que dans un État de droit, tel qu’il est défini par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, article 16 : « Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n'est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution. »

4. Il faut éviter de faire de l’État une chose ou une personne. Encore moins un dieu. De sorte qu’à proprement parler, on ne saurait devoir quoi que ce soit à l’État en tant que tel. Les « devoirs envers l’État » sont donc une formule métaphorique à interpréter. Et peut-être serons-nous amenés à conclure qu’on ne doit rien à l’État en tant que tel mais tout à l’État en tant qu’organisation humaine dès lors qu’elle sert la liberté.

5. Il faut prendre l’État dans sa plus grande signification. Certes l’État fournit à chacun sécurité, prestations sociales, services publics, bref, tout ce qui relève de ce qu’on appelle « l’État providence ». Ce n’est pas peu de choses, mais ces services ne sont pas nécessairement liés à l’État et pourraient être assumés, et parfois mieux, par des personnes privées ou des associations, bref par ce qu’on appelle la société civile. Elles ne relèvent pas de l’essence de l’État (comme on dit en philosophie) ou ne sont pas des fonctions régaliennes, (comme on dit en sciences politiques). En revanche, certaines fonctions ne peuvent pas ne pas être assumées par l’État, ne serait-ce que les tâches de police ou de diplomatie. Plus généralement, tout ce qui relève de la loi relève de l'État. Une erreur à ne surtout pas commettre, serait de confondre l’État et le gouvernement et lui opposer le Parlement ou la Justice…

De sorte que la définition de l’État doit comporter les traits essentiels :
– c’est un régime républicain dans lequel c’est la loi qui gouverne et non une personne, fût-elle la meilleure personne du monde.
– c’est un régime démocratique dans lequel le pouvoir est confié à des personnes issues directement, ou non, du suffrage universel.
Ainsi, par ces dispositions, je dois à l’État de pouvoir vivre en liberté et donc de pouvoir déployer ma propre nature, poursuivre des ambitions, respecter mon idéal. Bref, je lui dois tout ou quasiment.

6. Inversement, l’État n’est pas une institution tombée du ciel, il est une construction que l’humanité a mis des siècles à élaborer. Aussi, ce que je dois à l’État, je le dois plutôt à la raison humaine et au courage de ceux qui se sont battus pour construire cette liberté.

7. Un problème délicat à traiter, celui de l’Occidentalisme. Il est certain qu’un État ainsi défini est un État occidental dont l’origine se trouve dans la Grèce antique et dont l’aboutissement fonctionnel s’est trouvé en Europe, en Angleterre et en France, notamment. Il est peu probable que l’Afrique ait connu de tels État avant la colonisation et les États asiatiques étaient plutôt des tyrannies ou des despotisme… L’Afrique, comme l’Asie, ont aujourd’hui construit des État sur le modèle occidental. Mais… faut-il en parler ? Peut-on en parler sans risque ? Nous sommes en Terminale, pas à Scienc-Po, alors... non.

 

 Ce qu’il faut éviter :

Quant aux idées

Surtout : ne jamais prendre d’exemple dans la politique contemporaine. Le risque de heurter un correcteur est trop grand. D’autant qu’une analyse de politique contemporaine est toujours, plus ou moins, une prise de partie qui suppose sinon de fausser les choses, du moins de les présenter dans le sens de sa prise de position. Attitude peu philosophique.
C’est dommage car les difficultés que rencontrent, par exemple, un grand nombre de pays, africains notamment, viennent justement d’un déficit d’État, laissant ainsi la voie libre aux bandes armées et aux mafias. Le cas de la Somalie, entre autres est intéressant. Ou celui des « Révolutions arabes », qui laisse parfois de grands territoires hors du contrôle d’un État affaibli, comme on le voit en Lybie ou au Sinaï égyptien.
Inversement, dans d’autres pays les difficultés proviennent d’un État qui n’est pas constitué en État de droit. Mais… pas d’exemple politique contemporain. Nous sommes en Terminale de lycée, non à Sciences-Po, comme j'ai déjà dit.

Quant au plan

Un mauvais plan  pourtant tentant :
1. Qu’est-ce que devoir ?
2. Qu’est-ce que l’État ?
3. Que devons-nous alors à l’État ?

Dans un tel plan, en effet, seule la dernière partie est dans le sujet. Sans doute sera-t-il nécessaire de définir l’État, mais seulement en cours de route, au moment où le besoin s’en fera sentir. La définition sera alors raisonnée. C’est en fait un concept qui sera élaboré. En philosophie, contrairement à ce qui se passe en sciences, les définitions viennent à la fin, non au départ. Au début, on se contente de prendre le sens le plus large et le plus général.

Il faut une problématique

La dissertation philosophique n’est pas une question de cours ou un article d’encyclopédie. Il n’y a pas lieu de dire tout ce qu’on a à dire sur l’État et encore moins tout ce que les auteurs, de l’Antiquité à nos jours, en ont dit.

Il faut dire quel problème vous voyez à propos de ce sujet, le traiter et s’en tenir là. Il faut cependant le traiter d’un point de vue philosophique et non administratif (par exemple l’État et les Régions, l’État et les fédérations d’État) ou juridique (le fonctionnement des rouages de l’État…). Philosophiquement, cela veut dire qu’il faut remonter aux raisons qui justifient qu’on accepte que l’État soit et qu’il soit ce qu’il est. Ces raisons sont ce qu’en philosophie on appelle fondements.

Alors à chacun sa position. Ici, tout est liberté, mais dans tous les cas, les positions défendues doivent être fondées. Elles ne peuvent pas n’être que des opinions ou des slogans. Et vous ne pouvez pas vous contenter de dire « c’est mon choix ». Vous devez au contraire œuvrer pour que « votre » choix puisse devenir le choix de quiconque veut bien considérer vos raisons.

Quelques exemples

Vous êtes un peu anarchisant et vous pensez que la médiation étatique n’est pas toujours nécessaire ? Allez-y.

Vous êtes étatiste et vous voulez que l’État prenne tout en charge ? Allez-y, mais après l’échec de l’Union Soviétique, vous aurez du mal. On vous lira avec d'autant plus d’intérêt.

Vous êtes très « libéral » et vous pensez que moins il y a d’État et mieux la société se porte ? Allez-y.

Vous êtes « théocratique » et vous pensez que l’État étant une institution divine, l’obéissance qui lui est due doit être inconditionnelle ? Allez-y (mais bon courage !).

Vous êtes républicain (comme moi) et vous pensez que seul l’État est à même de faire advenir un peu de justice dans un monde qu’on ne maîtrisera jamais, mais qu’en même temps l'État est toujours une menace ? Allons-y.

Un plan possible, découlant de la problématique posée

En introduction,

Il est certain que nous devons obéir (donner quelques exemples banals, sans développer). Mais jusqu’où ? Jusqu’à donner sa vie ? Qu’est donc l’État pour mériter de tels sacrifices ? Car il existe des États violents dont on ne peut que souhaiter la disparition.

1. Ce que, spontanément, je crois devoir
Liste des services, puis classement par ordre d’importance.
Mais constatation que les État sont quelquefois (souvent ?) tyranniques.
On arrive à un besoin de définition de l’État séparant l’État violent de l’État de droit.

2. Mais en quoi l’État le mérite-t-il ?
L’État de droit et le citoyen.
Exposer ce qu’est l’État de droit, à partir du Contrat social (Rousseau ou Hobbes, selon son choix).
En déduire que l’État n’est qu’une construction humaine.

3. Ce que je dois à l’État
La possibilité d’être et d’être libre. Donc, je lui dois tout. Mais l’État en lui-même n’étant rien et pouvant facilement se transformer en violence, je dois à la fois le respecter et le surveiller.
Je ne lui dois, en fait que d’être citoyen.
Qu’est-ce qu’être citoyen ? C’est, de ce point de vue, faire en sorte que l’État reste conforme à ce qu’il doit être, un État de droit. Je dois être vigilant, instruit, dévoué… (pas nécessaire de développer trop, ce serait entrer dans une autre dissertation).

 En conclusion

Comme toujours, la conclusion rappelle la thèse défendue et les raisons avancées : on ne doit rien à proprement parler à l’État. On doit à tous d’être un véritable citoyen. Rien d’autre, mais ce rien, c’est tout.
Il n'est pas interdit d'expliquer qu'il n'est pas si facile d'excercer sa citoyenneté... ni de réponse, enfin, à la question.
Et finalement, que devons-nous à l'État ? Rien d'autre que d'être un citoyen efficace.